Dans la continuité de la newsletter précédente, nous poursuivons notre exploration des contextes culturels artistiques à travers le marketing. Dans la newsletter précédente, nous avons associé notre concept d’authenticité à la fête de la musique pour tenter de comprendre d’une manière succincte et globale le marketing de l’authenticité de certains artistes. Cette authenticité comprend l’authenticité personnelle et celle de l’œuvre proposée par l’artiste. Nous avions posé un certain nombre d’interrogations parmi lesquelles : comment fait-on passer un artiste amateur à professionnel ? Pour tenter de donner quelques pistes, nous abordons dans cette infonews n°81 la question du formatage des pionniers de marque à travers quelques exemples.
Pour commencer, le concept de « pionnier de marque » se réfère à une personne, une entreprise ou une entité qui est à l’avant-garde de l’innovation et de la création dans son domaine spécifique, et qui établit ainsi une présence distinctive et influente sur le marché. Les caractéristiques sont les suivantes : introduit de nouvelles idées ou produits, établit des nouvelles normes et tendances, créé une identité forte et reconnaissable, inspire et influence les autres, s’adapte et réagit aux changements du marché.
Dans l’industrie musicale, un pionnier de marque est un artiste ou un groupe qui se distingue par son innovation, sa créativité et sa capacité à influencer significativement le développement et les tendances de la musique. Un pionnier de marque dans l’industrie musicale est crucial car il stimule l’innovation, élargit les frontières de ce qui est possible artistiquement et inspire une nouvelle génération d’artistes à repousser les limites créatives. Leur impact va au-delà de la musique elle-même, influençant également la mode, l’art visuel, la culture populaire. Pour certains, il est possible de dire que non seulement ils marquent leur époque mais influencent également les générations futures.
En France , certains artistes qui ont été propulsés grâce au partenariat de maison de disque et de chaine de télévision alors qu’ils étaient inconnus mais musiciens et chanteurs amateurs, nous laissent penser à la fois à travers le procédé de propulsion et à travers leur capacité à se transformer pour devenir des « produits » à succès de maisons de disques qu’ils sont des pionniers de tendance. En disant cela, nous pensons à Christophe Willem et à Julien Doré tous deux gagnant d’une émission qui a été diffusée pendant quelques années sur une chaine de télévision hertzienne.
Ils étaient tous deux amateurs bien avant cette émission avaient été formés en quelque sorte à travers leurs études et les cours de chant et de musique ou le fait de jouer régulière dans des groupes dans leurs villes. Le besoin de ressources nécessaires pour se faire connaitre et pouvoir vivre de son art a été comblé par la rencontre avec une « fan base » qu’ils ont su constituer au fil des différentes émissions, à travers la mise en avant d’un marketing personnel, la mise en avant d’univers musicaux originaux qui ont permis de les faire gagner et donc de signer. Nous avons eu l’impression que le formatage s’est effectué devant le public et qu’en votant, nous avons en quelque sorte contribué à choisir les tendances de cette période. En réalité ces shows nous ont montrés le processus de détection de talents d’une industrie en mettant en scène une authenticité de circonstances. Ils ont choisi des voix et des univers musicaux déjà affirmés qu’ils ont transformés en artistes pouvant vivre de leur art. Le premier a gagné en 2006 et le deuxième en 2007.
Si cette transformation ne peut être considérée comme un combinaison de ressources à disposition bien qu’elle constitue une sorte de saut créatif du « statut », comment s’opère la véritable combinaison qui formate sur une période définie un amateur pour l’amener à devenir artiste ?
Pour cela nous nous appuyons sur la courte ressource filmique, chronique d’Aliette de Laleu : « Bella Bellow, la voix du Togo ». Pour la présenter rapidement, elle est née en 1945 et est décédée prématurément dans un accident de voiture dans son pays alors qu’elle préparait une tournée musicale avec ses partenaires aux Etats-Unis. Nous avons été particulièrement été intéressées par le formatage qu’elle a du subir et la combinaison des moyens à disposition pour la faire passer de chanteuse locale à chanteuse internationale. Si sa voix et sa capacité à reprendre les chansons locales apprenant ainsi les dialectes de son pays ont très vite été reconnus, le décollage de sa carrière provient de son professeur de dessin du secondaire qui l’a présentée à un artiste togolais et premier éditeur phonographique africain de France à l’époque qui à son tour va la présenter au célèbre saxophoniste M. Dibangu qui se chargera de la « former » en quelque sorte afin qu’elle puisse commencer à jouer sur les scènes internationales dans des villes comme : Athènes, Londres, Paris, Rio de Janeiro etc… Bien avant cela, elle avait joué sur le continent africain à Dakar lors du festival des arts nègres, à Alger. Une bourse d’études lui avait même été offerte pour aller s’instruire à Abidjan, ville dans laquelle elle prendra des cours de solfège.
Si sa courte carrière a marqué bon nombre d’artistes dans son pays d’origine et au-delà des frontières, ses morceaux sont repris par la nouvelle génération. Cela est arrivé notamment en France en 2018 lorsque la chanteuse franco-béninoise Angélique Kidjo a repris le morceau « Blewu » signifiant « doucement » en langue éwé selon notre traduction personnelle, le 11 novembre 2018 devant soixante-dix chefs d’Etat à l’occasion du centenaire de commémoration de l’ Armistice en France. Cette prestation est visible dans la vidéo de la chaine France 24 intitulée « Émotion avec l’interprétation de Blewu par Angélique Kidjo – Centenaire de l’Armistice de 1918 ».
Si cette combinaison de moyens et d’éléments à disposition ont permis d’effectuer ce formatage lent à travers le temps, les éléments qui nous semblent avoir été travaillés sont les suivants : le marketing personnel, les langues, le style, le choix des partenaires, les différents mentors et leurs apports dans sa carrière.
Le marketing personnel : le changement de prénom. Elle s’appelait initialement Georgette. Il a été changé pour les besoins de sa carrière internationale. Elle avait pour habitude de se vêtir en tissu wax, et chantait la plupart du temps en langue Ewé bien que sa fiche Wikipédia indique qu’elle savait chanter en anglais et en français également. Ne l’ayant pas vu sur scène, nous ne pouvons que parler des chansons qui sont diffusées sur le net et celles que nous écoutons à la télévision togolaise lorsque nous rentrons en vacances lors des temps de pause d’été et qui sont en langue originale.
Le style et les choix de partenaires : le jazz avec des musiciens aguerris aux exigences de l’industrie musicale de l’époque pouvant la coacher.
Les mentors : le prof de dessin du secondaire, l’éditeur phonographique togolais en France, le musicien camerounais, le chef d’état ivoirien qui lui a attribué une bourse d’études pour aller s’instruire en marge de sa musique en côte d’ivoire.
Si nous revenons au mot clé principal de cette newsletter, de quoi est-elle la pionnière ? Nous l’avons toujours vue comme une pionnière de l’authentique universelle pouvant partager sa culture, ses valeurs avec le monde entier du moins ceux qui l’écoutent dans le monde.
Cette universalité authentique se traduit par des musiciens non locaux, un style reconnaissable malgré la distance de la langue.
Si la combinaison et la transformation peuvent permettre de faire passer du statut « d’amateur » à celui de « professionnel », à quoi servirait la réutilisation de ressources à disposition à des fins nouvelles ?
Nous proposons d’explorer cette piste dans la prochaine infonews.
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