Dans la continuité des deux précédentes newsletters, nous achevons notre petite excursion qui touche au champ de la compréhension culturelle de créateurs de séries ou web séries. Nous suggérions cela car nous avons émis l’hypothèse selon laquelle une constitution de connaissance spécifique d’une population pouvait passer par une étape de prise d’informations en contexte naturel à partir de la réalité propre de ce peuple. Nous avons proposé de prendre comme exemple les séries d’Afrique de l’ouest telles que Maitresse d’un homme marié du Sénégal et la web série Ahoe du Togo. En finissant le billet n°87, nous avons proposé les interrogations qui suivent :
- Comment la diaspora arrive -t-elle à se frayer un chemin en contexte professionnel ?
- Les difficultés familiales lui sont -elles imposées ?
Nous proposons de penser succinctement à ces questions dans cette info-news n°88. Pour ce faire, nous allons mobiliser la web série Ahoe du Togo.
Ahoe, terme qui signifie « homeland » en anglais ou encore le bled, le pays en Français en langue Ewé , est le titre d’une web série qui a vu le jour au Togo. Elle a été diffusée en ligne entre le mois de décembre 2023 et le mois de janvier 2024. Elle est constitutive de dix saisons d’environ trente minutes qui a suscité l’engouement de la population togolaise ainsi que de sa diaspora pour la pertinence des sujets traités. Le dernier épisode mis en ligne le 19 janvier 2024 a rassemblé près de deux cent mille spectateurs en lignes en l’espace de trois jours.
La particularité de cette série est que la première a été entièrement financée par la communauté togolaise ( locaux, diaspora et amoureux du Togo) via un financement participatif relayé sur les réseaux sociaux par les deux porteuses de projet bien que l’équipe soit également constituée d’hommes. Elles ont été mises en avant aussi choisissons -nous de les présenter.
Il s’agit de deux Togolaises d’origine ayant vécu à l’étranger : en France pour l’une et aux Etats -Unis pour l’autre. Elles travaillent toutes deux dans le secteur de l’audiovisuel pour des chaines de grande écoute disponibles sur le canal satellite mais ont décidé de proposé une œuvre pouvant être visionnée par tous à travers la mise en ligne gratuite sur le net. Elles ont précisé que l’équipe d’acteurs a travaillé sans rétribution financière, ils avaient à cœur de participer à un travail d’équipe qui mette en avant leur langue locale : le mina qui est parlé dans la vie quotidienne à l’instar de la série dont nous avons parlé dans la précédente newsletter.
Bien que des sous titrages en français soient visibles, les deux premiers épisodes ont montré un personnage qui revenait de France après dix années d’absence et qui parlait en Français alors que les autres lui parlaient en mina. L’histoire tourne autour de ce personnage principal qui revient de France suite au décès brutal de sa mère.
Le premier épisode de la première saison rend montre un jeune parti étudier en France et qui y est resté pour travailler. Son absence a duré dix ans cependant il semblait avoir gardé de bonnes relations avec sa mère qui lui rendait visite souvent et lui parlait de ses affaires. Hormis quelques personnes, l’accueil qui lui a été réservé par les autres était mitigé du fait de sa longue absence et de son entêtement à ne s’exprimer qu’en Français et à bafouer quelques règles de bienséance surtout durant les réunions de famille. L’intrigue est sue dès la première scène, on y voit une commerçante entrer dans le bureau de sa conseillère de banque pour y effectuer une transaction habituelle lorsque celle-ci va lui annoncer que les 300 millions de francs CFA soit environ 450. 000 euros ont disparu du compte en banque. En apprenant cela, elle fait un malaise cardiaque et meurt. C’est suite à ce drame que son fils bien aimé mais fils prodigue pour les autres va rentrer pour son enterrement.
Nous apprendrons dès le deuxième épisode que près de 500 millions de francs CFA ont disparu de l’entreprise familiale suite à une malversation du comptable et que sa sœur aînée ainsi que son époux chargée de la gestion de l’entreprise se sont servis dans le compte de la dame pour payer les fournisseurs sans l’en informer. L’histoire va se dérouler autour de cette intrigue familiale, de cette malversation financière que ce personnage principal va tenter de résoudre avant son départ pour la France.
Si le nom du coupable n’est su qu’à la fin, cette fiction permet de mettre en lumière l’écart qu’il y a entre les jeunes de la diaspora qui ont d’autres sens des priorités que ceux qui sont restés sur place. Le rapport à l’argent et aux affaires de gestion n’est pas du tout perçu de la même façon. La gravité des faits pour une opération aussi risquée et qui a provoqué la mort d’une personne qui travaillé toute sa vie ne semble émouvoir personne à part son fils. Nous avons l’impression que les personnages trouvent normal de puiser dans les caisses d’une entreprise même si elle est familiale. Nous avons l’impression qu’il s’agit de leur propriété privée et non d’un bien social nécessitant la mise en place de procédures rigoureuses pour décaisser des sommes importantes.
Encore une fois, ce qui nous intéresse c’est le rapport à l’argent et à la gestion de l’entreprise familiale car l’histoire racontée par cette scénariste est loin d’être un cas isolé. Elle nous décrit la réalité de la société en grossissant aussi certains traits des personnages. Le Togo étant connu pour avoir abrité les Nana Benz en son sein, des femmes commerçantes et riches à millions. Nous imaginons que cette fiction qui met en scène la ruine d’une commerçante aisée n’est pas anodine. Si elle peut occasionner bien des questions, en ce qui concerne, nous attirons l’attention sur le gap qui existe entre le niveau d’études des commerçants en général et leur niveau de réussite financière. En effet, nous soupçonnons que cela peut constituer un handicap et les rendre vulnérables face à des salariés peu scrupuleux et plus diplômés qu’eux surtout si ceux-ci ont en charge la gestion des comptes sans organe de contrôle. Cela pose un problème de structure des entreprises d’une part. D’autre part, il peut également y avoir un problème avec le fait de mêler systématiquement famille et affaires sans s’assurer que les personnes sont compétentes pour les fonctions qui leur son confiées. La gestion des affaires familiales requiert autant de sérieux car elle implique de laisser un héritage pour ceux qui suivront et de rendre les entreprises pérennes pour participer à l’essor économique des pays. En France par exemple, bon nombre de familles comme la famille Peugeot confie la gestion de leur patrimoine et entreprise familiale à des personnes compétentes qui ne sont pas membres de la famille.
Il est évident que nous n’encourageons pas la mise au chômage des membres d’une famille surtout si elles sont motivées ou compétentes. Nous avons d’ailleurs nos deux témoins de mariage religieux, un couple composée d’une femme togolaise et d’un homme béninois qui ont créé une version de l’entreprise familiale de la mère de la femme au Togo dans le pays voisin. Ils l’ont d’ailleurs modernisé, amélioré et agrandi à travers des diversifications au fil des ans.
C’est le passe-droit systématique dans certaines familles et le fait de les recruter en priorité au détriment de jeunes débrouillards qui dérange et qui empêche peut être non pas la survie mais la pérennisation sur plusieurs générations. Nous le disons d’autant plus que la diaspora souffre souvent de discrimination à l’embauche dans certains pays étrangers et qu’elle serait peut-être mieux placés pour gérer certaines entités prospères surtout si elle en a fait la preuve plutôt que des ayants-droits inexpérimentés. Nous pensons que les raisons de la non survivance des entreprises à leurs créateurs est plus complexe que cela mais en l’absence de statistiques fiables et ayant souvent entendu des histoires de faillites en fin de vie de certaines personnes dans le secteur informel en rentrant en Afrique, cette fiction peut être l’occasion de s’interroger plus sérieusement sur la question.
Vaut-il mieux avoir des héritiers-chômeurs d’entreprises prospères ou des salariés-héritiers d’entreprise en faillite ?
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